LE MONDE | 18.11.08 | 13h36 |
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Depuis trente ans, les pays pauvres subissent de
plein fouet les conséquences d'une course au profit effrénée qui a fait perdre
la tête à la finance mondiale. A l'heure de refonder le système financier
international, ils ne sont même pas conviés à la table des négociations.
La chronique du drame est éclairante. Acte I, l'endettement. Dans les
années 1970, à la recherche de débouchés pour leurs liquidités, les banquiers
occidentaux endettent massivement les pays du Sud à des taux (flottants)
défiant toute concurrence. Les Etats leur emboîtent le pas, en faisant crédit à
des dictatures féroces comme aux Philippines, au Congo (ex-Zaïre) ou en
Argentine, en échange de leur allégeance au bloc de l'Ouest. Acte II, crise de
la dette. En cause, au-delà des motifs géopolitiques : la remontée en flèche
des taux d'intérêt, suite à une décision du Trésor américain, et la
dégringolade des revenus d'exportation avec la chute des prix agricoles. Acte
III, l'ajustement structurel. A partir des années 1980, les grands argentiers
du G7 exigent des pays pauvres qu'ils sacrifient les dépenses de santé,
d'éducation ou d'emploi pour rembourser la dette.
Le Fonds monétaire international (FMI), désoeuvré après la sortie du
système de change fixe, est chargé d'imposer privatisations bradées,
libéralisations commerciale et financière et retrait de l'Etat. Pour le plus
grand profit des investisseurs étrangers. L'ouverture des marchés met en péril
les cultures vivrières, première source de revenus de la population rurale, et
tue dans l'oeuf les industries naissantes. Une minorité s'accapare les rentes
minière et pétrolière. Les bénéfices colossaux réalisés au Sud fuient vers les
places offshore.
Au total, les pays en développement consacrent encore chaque année 456
milliards de dollars (360 milliards d'euros) à rembourser leur dette. La fraude
fiscale leur coûte 300 à 500 milliards de dollars par an. En face, les quelque
100 milliards de dollars annuels d'aide au développement et les maigres
allégements de dette consentis depuis dix ans (88 milliards de dollars) font
office de caution à cette ponction massive des richesses du Sud. Mille fois,
nous avons demandé au G8 que la finance mondiale soit mieux régulée et mieux
partagée. Mille fois, nous nous sommes heurtés à un mur. Voilà que la folie de
la finance mondialisée menace nos Bourses et nos emplois, et nos gouvernements
s'empressent de convoquer, à huis clos, les vingt pays les plus puissants au
chevet du capitalisme pour le préserver sans le remettre en question. Les pays
pauvres, "ceux qui souffriront le
plus de la crise (et) qui en sont le
moins responsables", selon le mot du secrétaire général des Nations
unies, Ban Ki-moon, attendront.
ZONES DE NON-DROIT
Comme nous, l'objectif affiché de l'Union européenne
pour ce sommet à Washington doit les laisser pantois. Comment l'UE peut-elle en
effet vouloir confier, sans contrepartie, le rôle de gendarme financier de la planète
à une institution, le FMI, qui a laissé exsangues les pays endettés, et oublié
sa mission première, la stabilité financière internationale. Malgré son siège
dans la capitale des Etats-Unis, le FMI s'est avéré incapable d'anticiper la
crise des subprimes - et la faillite islandaise. Laissant prospérer des zones
de non-droit, les paradis fiscaux, et mondialisant cette finance dérégulée, il
a créé les conditions d'une crise globale. Ce n'est pas sa gestion calamiteuse
des crises en Argentine, en Russie et dans le Sud-Est asiatique, au tournant du
siècle, qui redorera son blason.
Le FMI est malade. Malade du dogme néolibéral auquel ont été formés 99
% de ses économistes. Malade de la suspicion que suscite son pedigree dans la
plupart des pays du Sud. Malade aussi de la mainmise en son sein des pays du
G8, que le FMI a renoncé à contrôler, en particulier les Etats-Unis qui
disposent d'un droit de veto à son conseil d'administration. Aussi
louable soit-elle, l'ambition européenne d'une reprise en main multilatérale de
la finance mondiale restera vaine, si le chantier est confié à une telle
institution. A moins d'un traitement de choc. La crise ne trouvera d'issue
durable que si la nouvelle régulation internationale est à la fois plus
efficace, au service d'une répartition plus juste des richesses, et plus
légitime, en associant étroitement les pays pauvres. Bien plus que le G20, le
sommet des Nations unies sur le financement du développement, qui se tient à
Doha à la fin du mois, est l'occasion rêvée d'entreprendre ce chantier
exigeant.