Intervention
de Guy AURENCHE, Président du
CCFD–Terre Solidaire
à
la célébration d’accueil des partenaires
(Savigny le 13 mars 2010)
Il
est venu le temps des semailles
Cher(e)s
ami(e)s,
Chacune
et chacun de
nous est convié à un rendez-vous : il est venu le temps des semailles.
Notre
ami partenaire d’Haïti nous a dit que dans quelques semaines il va
falloir
semer sur la terre d’Haïti. Sur cette terre vivement frappée par les
drames
naturels, par la misère, le découragement et l’exploitation.
C’est
bien dans ce
contexte-là que les semences doivent être semées ! Lorsque nous nous
mettons
les un(e)s et les autres au travail pour des actions de sensibilisation
au
développement ou pour des mobilisations financières ou politiques, nous
risquons facilement de nous décourager. Pourtant les conditions de
notre action
n’ont rien à voir avec celles dans lesquelles les semailles de 2010
vont se
faire en Haïti !
C’est
donc avec tous
nos partenaires que nous allons nous retrouver en qualité de semeurs.
Semeurs
d’espérance, semeurs de graines qui donneront du pain et de la
reconnaissance,
semeurs de réflexions et d’actions politiques qui organiseront un monde
autre.
Je
suis heureux de
saluer ici la présence, non seulement de nos partenaires étrangers,
mais de
tous les groupes et communautés avec lesquels, en France, le CCFD–Terre
Solidaire travaille depuis longtemps. Sans ce double partenariat notre
action
n’aurait pas de sens. Le partenariat n’est pas d’abord une affaire de
nombre :
il faudrait être le plus nombreux possible ! Il s’agit d’abord d’une
affaire de
convictions partagées et de la prise de risque, ensemble. C’est une
affaire de
société, c’est une affaire d’ecclésialité, c’est une affaire de
fraternité.
C’est dans cet esprit-là que le CCFD–Terre Solidaire invite chacun,
chacune,
personnes et organisations à trouver les lieux d’une démarche de
coresponsabilité pour la construction d’un monde plus juste.
Cette
invitation aux
semailles, à nous transformer en semeurs, nous la recevons non
seulement avec
enthousiasme mais également avec intelligence. Aucun semeur, digne de
ce nom,
ne lance la graine sans avoir étudié la terre qui va la recevoir. Je
peux donc
partager avec vous, brièvement, quelques-uns des aspects de cette terre
mondialisée qui aujourd’hui et demain doit recevoir la semence du
développement. Ce travail d’analyse et de confrontation aux réalités
(économiques, politiques, institutionnelles, financières et autres) de
ce monde
n’est pas un gadget supplémentaire. C’est une condition sine qua non
pour que
le temps des semailles ne soit pas une affaire de bonne conscience ni
un
sursaut de générosité sans lendemain.
Examinons
sérieusement l’état de cette terre et adaptons nos réactions.
Qu’en
est-il de notre
terre aujourd’hui ?
1) La mondialisation et le
phénomène d’interdépendance
Il
s’agit là d’une
évidence et pourtant nous n’avons pas encore pris l’exacte mesure de ce
degré
d’interdépendance qui nous lie les uns aux autres. C’est une nouveauté
absolument
radicale. Nous savons, si nous acceptons d’être lucides, qu’aucune
solution
durable pour un véritable développement, ne peut se construire s’il
n’est pas
pensé les uns avec les autres, dans une entente entre les pays, entre
les
cultures, entre divers types d’acteurs (acteurs institutionnels,
société
civile, acteurs moraux et religieux…)
Cette
interdépendance
peut produire deux conséquences. D’une part le sentiment que chacun
doit se
lancer dans le jeu de la concurrence effrénée. Que le meilleur,
c’est-à-dire le
plus fort, gagne ! Ceci est vrai sur tous les plans.
D’autre
part la même
mondialisation et l’interdépendance qu’elle créé, peuvent nous conduire
(et
nous conduisent déjà) à des phénomènes de repli identitaire sur
nous-mêmes.
Parce que nous sommes affolés par ce monde que nous ne maîtrisons pas
totalement, nous allons être tentés de nous raccrocher à quelques
vérités ou à
quelques traditions. Ce repli est mortel.
La
troisième issue
qui nous est proposée est celle du partenariat. Il est clair pour moi
que la
mondialisation sombrera dans la barbarie si elle n’est pas animée par
la règle
et par la pratique du partenariat, dans tous les domaines. C’est ce que
le
CCFD–Terre Solidaire propose en termes de processus de développement.
Le
partenariat est risqué.
C’est le risque de la rencontre de l’autre, d’une collaboration dans la
confiance avec toutes les trahisons possibles ou toutes les erreurs
inévitables. Le partenariat c’est la nécessité d’accorder nos pas, nos
rythmes
les uns aux autres. Nous ne pensons pas de la même manière, selon les
cultures
ou les continents. Nous ne marchons pas au même rythme. Le partenariat
exige de
créer des lieux de gouvernance mondiale où les appels et les réponses
de chaque
pays, de chaque culture seront pris en compte et où l’on tentera de
trouver des
modalités d’actions communes.
La
mondialisation
n’est pas vouée fatalement à la dictature, à l’uniformisation dans la
médiocrité, aux replis identitaires. Elle peut se jouer dans le
partenariat. Il
est venu le temps des semailles du partenariat.
2)
Dénoncer les risques des totalitarismes
Nous
vivons une
époque unique, en ce que nous sommes aujourd’hui détenteurs de la «
super
puissance ». Nous pouvons sur le plan de la biologie, de la
technologie, de
l’écologie, des médias, de la guerre, détruire définitivement une
partie de la
planète, polluer une autre, changer la cellule humaine… que cela ne
nous
effraie pas et que les chercheurs continuent de chercher. Par contre la
conscience de ce pouvoir total que nous avons doit nous alerter sur les
risques
de totalitarisme. Que faisons-nous de ces pouvoirs ? Sont-ils au
service des
plus forts ? Y a-t-il quelques lois économiques ou financières qui
s’imposent
absolument y compris si elles conduisent –comme nous le voyons
actuellement– à
la mort ?
C’est
parce que la
loi du profit, des super profits, de l’adoration du profit, est devenue
la
seule loi possible que tous les systèmes économiques et financiers ont
dérapé
pour nous conduire à ce que nous savons. C’est parce qu’on a oublié
qu’il y
avait d’autres exigences, que l’économie sociale et solidaire est une
autre
voie possible, que la coopération se fait à plusieurs et non dans
l’impérialisme des uns contre les autres.
A
la réalité de cette
toute puissance, nous pouvons, nous sommes invités à opposer la réalité
du
service. Ces technologies nouvelles, ces moyens tout puissants qui sont
à notre
disposition, nous avons à les mettre au service du développement de la
personne
humaine et des peuples. Ceci nous le ferons ensemble.
Il
est venu le temps
des semailles du service.
3)
Crier contre l’inacceptable de la misère
Il
y a là une
caractéristique de notre terre. Nous nous sommes volontiers bercés des
faux
espoirs que nous mettions dans la loi du seul progrès matériel. Il est
évident
que nous devions gagner la victoire contre la faim, contre la misère.
Et bien
nous ne l’avons pas gagnée. Les crises que vivent, en particulier les
sociétés
les plus pauvres, interpellent les mécanismes qui conduisent à cette
misère.
Oui il nous faut tout d’abord redécouvrir le sens des situations
inacceptables
qui existent aujourd’hui à travers le monde.
Oui,
il nous faut,
ayant fait ces constats, procéder aux analyses des processus qui
permettront
d’en sortir. C’est alors que l’action du plaidoyer que propose le
CCFD–Terre
Solidaire prendra tout son sens puisqu’il va, dans une alliance
commune,
inviter les uns et les autres, à influencer les décideurs politiques,
économiques, financiers ou autres pour que les décisions soient prises
dans le
sens du véritable développement et non dans le sens de l’égoïsme qui
conduit à
la misère.
Par
ailleurs, crier
contre la misère inacceptable c’est nous inviter à poursuivre les
efforts
d’éducation au développement qui sont nécessaires. La solidarité ne
tombe pas
du ciel. Elle n’est pas innée. Encore moins dans ces temps de
concurrence
mondialisée ou de craintes généralisées. Le partage, cela s’apprend,
cela se
raisonne, cela se choisit. L’action d’éducation au développement n’est
réservée
à aucune famille de pensée. Chacun, individu et groupe, est invité à y
contribuer qu’il s’agisse de l’éducation nationale, des autres formes
d’enseignement, de la catéchèse, de la formation permanente, des
rappels
fraternels que nous pouvons nous lancer les uns aux autres quant à nos
manières
d’aborder la question du développement. Ayant écouté ces proposition
d’éducation au développement, il sera moins difficile à nous-mêmes et
aux
générations futures de changer dès maintenant nos mode de vie afin de
laisser
un peu d’espoir, un peu d’avenir au développement vraiment partagé.
Au
scandale de
l’inacceptable misère nous pouvons opposer un autre mot : le nécessaire
partage.
Oui
il est venu le
temps des semailles du partage.
4) Cette terre,
dont les caractéristiques se retrouvent à
travers la mondialisation et son interdépendance, à travers les
phénomènes de
totalitarisme, à travers l’inacceptable misère, nous invite non
seulement à
agir, mais à creuser les raisons qui nous font agir.
Il s’agit
alors d’ouvrir pleinement le débat sur les convictions.
Qu’est-ce que la personne ? Qu’est-ce que son développement ? Qu’est-ce
qui
nous fait agir individuellement ou communautairement pour que les mots
JUSTICE,
SOLIDARITÉ, FRATERNITÉ, deviennent des réalités ?
Certes
nous nous
retrouvons dans un code commun qui est celui de la dynamique des droits
de
l’homme, lancée, en particulier par la déclaration universelle des
Droits de
l’homme du 10 décembre 1948 : « les peuples du monde entier ont
proclamé leur
foi en la dignité et la valeur de la personne humaine ». Voilà qu’un
acte de
foi (un acte de conviction) apparaît nécessaire à toute action de
développement.
Cet
acte de foi nous
allons le faire selon des expressions et des modalités différentes.
Nous lui
donnerons des contenus différents. Vous savez que le CCFD–Terre
Solidaire ne
cache pas son enracinement dans la bonne nouvelle chrétienne. Le
CCFD–Terre
Solidaire ne cache pas que sa mission lui a été confiée par l’Église
catholique.
Alors
le
développement serait-il enraciné exclusivement dans la foi chrétienne ?
La
réponse est non. Ou plutôt parce que le vrai catholicisme nous invite à
aller
aux marges, nous invite à une démarche planétaire, nous invite à nous
intéresser aux ailleurs et aux au-delà, parce que le christianisme
appelle à la
rencontre, il invite à l’écoute d’autres convictions, d’autres
approches
religieuses, idéologiques ou culturelles. Il ne s’agit en rien de
minimiser la
force ni la richesse de nos propres convictions particulières. Au
contraire en
défendant le trésor de mes convictions, je déclare en même temps que la
conviction des autres m’est nécessaire pour purifier sans cesse ma
propre
démarche.
Oui,
le débat sur les
convictions est absolument nécessaire et c’est une grande richesse du
CCFD–Terre Solidaire que de pouvoir le faire, à partir de son
enracinement
chrétien, et de le faire avec des tenants d’autres convictions. La
quête du
sens de nos actions est absolument indispensable. Pour éviter qu’elle
ne
s’enferme dans des réflexes identitaires, voire sectaires, cette quête
nous la
mènerons ensemble. C’est le sens de la présence et de la diversité de
nos
partenaires, qu’ils soient étrangers ou qu’ils soient français.
Oui,
il est venu le
temps des semailles du partage des convictions.
Alors
chers amis,
nous voyons bien le défi qui nous est proposé : c’est le défi de
l’Alliance.
Nous pouvons oser le relever au service de l’humanité qui souffre du
mal
développement et de la misère parce que des millions d’hommes et de
femmes,
organisés selon des méthodes différentes sont déjà au travail. Nous ne
sommes
pas seuls pour le temps des semailles. Cette alliance elle est faite
non pour
imposer une modèle mais pour permettre à l’humanité de se déployer dans
toute
sa diversité, et d’abord dans toutes ses capacités d’existence
fondamentale.
Cette alliance est une alliance au service des « relèvements » qui
permettront
aux uns et aux autres, et tout particulièrement aux plus faibles et aux
plus
petits d’être pleinement présents dans la démarche commune. Cette
alliance de
nos convictions, de nos actions, loin de nous enfermer dans un
sectarisme
identitaire, nous pousse à la découverte de l’autre et des autres.
Soyez
remerciés amis
partenaires venus des quatre coins du monde, soyez remerciés amis
partenaires
qui apportez au CCFD–Terre Solidaire toutes les couleurs de la France,
soyez
remerciés de croire, de croire avec nous en cette alliance.
Oui
il est venu le temps de
l’alliance.
Oui
il est venu le temps des
semailles.
Guy
AURENCHE,
Président
du CCFD–Terre Solidaire